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Stéphane Sauvé, l’homme qui voulait vieillir autrement 


Publié le Mardi 16 Décembre 2025 à 09:16

Ingénieur devenu directeur d’EHPAD, bénévole en soins palliatifs puis fondateur d’une association, Stéphane Sauvé a multiplié les vies. Il a choisi de transformer sa trajectoire personnelle en combat collectif en offrant aux seniors, et notamment aux personnes LGBTI+, des lieux de vie où l’on peut être soi-même. Portrait d’un homme qui fait rimer vieillesse avec dignité, diversité et solidarité. 




Ingénieur de formation, Stéphane Sauvé n’était pas destiné à devenir la figure de proue d’un projet novateur pour les seniors LGBTI+ en France. « J’ai commencé dans la finance et les télécoms. Quinze ans chez Bouygues Telecom, où j’ai fait un peu de tout : financier, relation client, formation… », raconte l’intéressé qui, en parallèle, s’engage comme bénévole en soins palliatifs.   

De cette expérience marquante naît une certitude, celle de vouloir s’engager davantage au profit des personnes âgées. « J’étais un simple citoyen, ni soignant ni directeur. Et ce que j’ai vu m’a bouleversé : des résidents qui n’osaient pas dire qu’ils souffraient, de peur d’être mal vus, ou même de représailles ». Fort de cette expérience, l’ancien ingénieur passe alors un CAFDES et devient directeur d’EHPAD.

Entre défis quotidiens et remise en question 

Diplômé en 2015, ce Basque d’origine prend la tête d’EHPAD à Bobigny, puis à Paris. Dans sa pratique quotidienne, il essaie d’instaurer du lien social et des moments d’échanges, à l’image des « repas du capitaine ». « Organisés chaque mois, ils réunissaient l’ensemble de l’équipe administrative, une partie de l’équipe de soin, et les résidents de l’établissement pour un repas pris en commun », détaille Stéphane Sauvé, soucieux d’instaurer ainsi une confiance mutuelle au sein de l’établissement.  

Après trois années passées à la tête d’EHPAD en Île-de-France, le directeur rend néanmoins son tablier en 2017. Trop de contraintes, trop de coups encaissés, trop peu de marges de manœuvre. « Quand on est directeur, on devient le centre névralgique de tous les mécontentements : les résidents, les familles, les salariés, l’ARS, tout le monde ». L’épisode se conclut par une rupture fracassante, presque libératoire. « Je me suis offert une renaissance. J’avais alors 48 ans », confie-t-il.

La naissance des Audacieuses et des Audacieux 

Cette renaissance prend une direction inattendue. Lorsqu’il était directeur, Stéphane Sauvé avait remarqué une très faible visibilité des personnes LGBTI+ parmi les personnes âgées. « Certains étaient mis à l’écart, mais la plupart ne le disaient tout simplement pas, et le cachaient même », se souvient l’ancien directeur : « Un jour, une aide-soignante voit un cadre photo dans la chambre d’un résident. Elle demande innocemment qui est ce monsieur. Le résident, surpris, répond que c’est son cousin. Le lendemain, la photo avait disparu. En réalité, c’était son compagnon décédé. Cet homme n’a en aucune manière été victime d’une parole homophobe, mais il ne s’est pas senti suffisamment en sécurité pour assumer la vérité ». 

Ces épisodes auront marqué durablement Stéphane Sauvé, qui s’implique alors dans le bien-vieillir des personnes LGBTI+. « Étant potentiellement concerné dans les décennies à venir, je me suis aussi posé ces questions, à savoir comment je souhaitais vieillir, avec qui et dans quel cadre », explique-t-il. En 2017, il fonde ainsi l’association Les Audacieuses et les Audacieux, avec une idée simple : créer des lieux de vie pour seniors « où l’on peut être soi-même ». Inspiré par des initiatives canadiennes, allemandes ou du nord de l’Europe, il veut importer en France le concept de « maison de la diversité ».  

Habitats inclusifs et participatifs, ces structures sont destinées aux personnes âgées isolées mais autonomes, « avec pour spécificité de prendre en compte les problématiques des seniors LGBTI+ et des seniors vivant avec le VIH », explique le fondateur et délégué général de l’association, car, il l’assure : « Vieillir LGBTI+ ou séropositif n’est pas différent en soi. Ce qui change, c’est le parcours de vie, souvent cabossé par l’hostilité et les discriminations ».

Une première maison à Lyon 

Trouver des partenaires, mobiliser des financements, faire valoir son projet… le chemin reste semé d’embûches, mais l’initiative progresse. Face aux critiques évoquant un risque de « ghettoïsation », Stéphane Sauvé insiste sur son objectif de permettre aux personnes âgées de rester autonomes. « Je ne crée pas un ghetto, explique-t-il. Je propose un choix : habiter avec qui l’on souhaite, dans un cadre sécurisé, sans crainte d’être jugé. C’est essentiel, car l’autonomie, c’est avant tout la liberté de décider pour soi ».  

Huit ans plus tard, l’aboutissement est là : la première maison de la diversité a ouvert ses portes à Lyon, dans le quartier de la Croix-Rousse, le 9 octobre 2025. Quinze habitants s’y sont installés, autonomes mais désireux de partager un projet de vie collective. « Ce n’est pas un EHPAD ni une résidence services. Les habitants sont encore très autonomes et ne consomment pas d’activités, ils les créent entre eux », insiste Stéphane Sauvé. Au travers de certaines activités, la maison s’ouvre aussi au quartier « dans un esprit de prévention et de solidarité », ajoute l’ancien directeur.

Une colère apaisée, une énergie intacte  

Mais ce n’est qu’un début pour Stéphane Sauvé et son projet. Une nouvelle Maison de la diversité devrait voir le jour dans les prochaines années à Strasbourg, incluant une colocation adaptée aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés, avant que d’autres villes ne suivent. L’objectif reste le même, créer des lieux où les seniors LGBTI+ ou vivant avec le VIH, peuvent évoluer en toute sécurité, dans un environnement ouvert et inclusif, tout en conservant leur autonomie et en construisant des liens avec les autres résidents.  

« Ces habitats sont pensés pour que chacun puisse continuer à être acteur de sa vie, dans un cadre où la liberté et la dignité sont préservées », explique Stéphane Sauvé pour qui une colère a été le déclencheur de ce parcours. Une colère face aux injustices subies par les personnes âgées et face à l’homophobie. Cette colère s’est transformée en moteur créatif et en énergie constructive. Aujourd’hui, il n’a plus le temps de s’investir dans le bénévolat auprès des personnes en fin de vie, mais il continue de porter cette vision d’un vieillissement différent, solidaire et respectueux de chacun. En évoquant les habitants de la première maison, il ne cache pas sa fierté et son émotion : « L’un des résidents m’a un jour dit : “Je me sens renaître, comme si j’étais au bon endroit, libéré des contraintes et de la peur que j’ai vécues dans ma vie.” Pour moi, tout est dit ».

> Article paru dans Ehpadia #41, édition d'octobre 2025, à lire ici 
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